Les vendeurs de rue déguerpis par la police à Tunis
mercredi 16 mars 2011
Ils avaient installés leurs stands dans les rues autour du marché centrale dès le retour au calme qui avait suivi la chute du gouvernement Ghannouchi. Venus de l’Ouest, là où tout a commencé avec l’immolation d’un chômeur diplômé réduit à vendre des fruits et légumes à la sauvette dans les rues de Sidi Bouzid, giflé par une policière. Une gifle de trop qui a embrasé le pays et une bonne partie du monde arabe. Comme un vol de papillons dit-on ici. Mais il faut surtout remarquer que cette révolte s’est faite en solidarité avec un citoyen ordinaire et ordinairement démuni, et non au en soutien à un(e) intellectuel (le) gréviste de la faim, aussi courageux (se) soit-il (elle). Pourtant ce matin la police était de nouveau dans les rues, et les nervis de l’ancien régime s’en donnaient à cÅ“ur joie, alors que depuis des semaines l’humiliation semblait avoir changé de camp. Matraques, lacrymos, barres de fer, venant après une campagne de la presse d’ancien régime, la journaille s’insurgeant que "voleurs, trafiquants et délinquants" bloquent la circulation des chalands (qui se sont pourtant jetés sur les étales) proposant selon elle des parfums de luxe venus directement des pillages de grands magasins accomplis au cours des jours qui ont changé la Tunisie. Et c’est vrai que de l’avis général, toutes ces marchandises viennent directement des entrepôts des Trabelsi qui ont pillé la Tunisie pendant 23 ans et abandonné les régions de l’Ouest (l’élite étant côtière depuis Bourguiba), ce qui est de bonne guerre. Un vendeur situé dans le souk improvisé devant la gare s’excuse presque : " On trafique, oui, mais il n’y a pas de travail, pas d’autre moyen de vivre". Même pour des permanents syndicalistes, ces représentants des masses déshéritées qui ont affronté le Régime jusqu’à le faire tomber, ce sont des "voleurs" et même pire : des immigrés ! "Ils viennent du Sud", et qu’importe que ce soit de l’Ouest, c’est le lieu de la barbarie. Dans une partie de la classe moyenne de Tunis, le racisme social est à fleur de peau. On ne parle que de "retour à l’ordre". On sait grée à cette divine apparition des masses d’avoir fait fuir Ben Ali, un peu moins déjà d’avoir dégagé Ghannouchi... Mais surtout qu’elles disparaissent au plus vite... Comment ne pas penser à nos émeutiers de banlieue "proto-politiques" en lutte contre la marche inexorable de Sarkozy vers le pouvoir, méprisés, et abandonnés par la classe moyenne progressiste ? La profonde fracture de classe, qui a aussi un ancrage géographique, que l’on peut mesurer à Tunis à l’occasion de ces événements est lourde de menaces pour l’avenir...
voir par exemple l’éditorial du journal La Presse du 18 mars 2011